Ben Grosser s’intéresse depuis des années aux implications culturelles, sociales et politiques du monde digital. Il questionne l’impact des logiciels et des algorithmes sur la communication et la création artistique.
En marge de son exposition actuelle software for less il a créé un nouveau réseau social à contrepied des autres plateformes basées sur l’hyper-sollicitation des utilisateurs à des fins mercantiles.
Lors de votre inscription à MINUS, vous bénéficiez d’un crédit de 100 messages pour toute la durée de votre participation.
- Vous ne pouvez télécharger aucun fichier, image, audio ou vidéo.
- Vous ne pouvez vous exprimer qu'avec votre clavier : lettres, chiffres, ponctuation et caractères spéciaux.
- Vous ne pouvez suivre personne.
- Pas de possibilité de “liker” ni de “reposter”.
A quoi bon alors?
C’est justement tout l’intérêt de ce concept qui invite les utilisateurs à repenser leur relation aux réseaux sociaux et leurs interactions avec les autres membres.
En tant que coach aidant les gens à mieux gérer leur temps d'écran, l’idée m’a immédiatement emballée, je me suis donc inscrite.
Mon enthousiasme initial s'est transformé en une profonde introspection lorsque j'ai décidé d'écrire mon premier post. Plus que jamais, j'ai senti que je devais choisir chaque mot avec soin. La sobriété du design me fait penser aux églises romanes ; des piliers et des murs massifs, très peu de fenêtres. Une invitation au silence.
Commencer le compte à rebours était intimidant pour moi, il y avait beaucoup de choses à considérer avant de se lancer.
Le contenu
Chaque publication étant déduite de votre total, cela signifie que chaque message compte littéralement. On a tendance à laisser tomber l’idée de commenter par un “carrément”, “trop bien” ou “haha”.
Est-ce un gage de meilleure qualité ? Pas nécessairement. Je ne suis même pas sûre que ce soit le but. D'après ce que j'ai lu jusqu'à présent, la plupart des utilisateurs avancent sur la pointe des pieds dans ce nouveau territoire. Et même si le nombre de caractères est illimité, la majorité des messages sont courts.
Contrairement à ce qui se passe dans les autres réseaux sociaux où le recours à l'image à tendance à appauvrir le vocabulaire, dans Minus le langage reprend toute son importance.
L'intention
Au départ, on se demande un peu pourquoi on est là et ce qu’on va bien pouvoir y faire.
Sur Minus, il n'y a pas de suggestions de contacts, pas de fil d'actualité en fonction de vos préférences. Quand on débarque, on est seul avec son pécule de 100 messages. A ce stade il n'y a pas encore de communauté. Il n'y en aura peut-être jamais.
On est sur une nouvelle planète où tous les habitants sont désorientés.
Personnellement je trouve ça génial. La liberté dans la contrainte me stimule et améliore ma créativité. Et pour une amoureuse des livres, un monde basé sur les mots est réjouissant. Cela dit, lorsque j'essayais d'écrire mon premier post, de nombreuses questions se sont heurtées dans ma tête.
- Vais-je utiliser Minus comme une sorte de journal intime public ?
- Si oui, vais-je parler de mon expérience sur ce réseau ou de ma vie en général ?
- Est-ce que je veux vraiment que les gens me connaissent ici ?
- Est-ce que je veux créer des liens avec quelqu'un ?
Mes convictions
Rejoindre Minus n'est pas neutre, du moins pas pour moi. Cela fait écho avec certaines convictions personnelles comme le besoin d'une technologie plus humaine, non basée sur la captation de l'attention pour des profits financiers.
Je vois également dans ma pratique quotidienne les ravages causés par les réseaux sociaux en terme de concentration, de santé mentale et d’altération du sommeil.
Moins d'interactions numériques pourrait également signifier moins d'émissions de carbone.
Mais du coup je me suis demandé :
- Pourquoi utiliser mes 100 messages dans un nouveau réseau social si je veux soutenir une utilisation plus responsable de la technologie ?
- Dois-je faire une sorte de compensation en quittant un autre réseau ?
- La Karine du futur me remerciera-t-elle d'avoir soutenu un artiste controversé ou me reprochera-t-elle d'avoir juste ajouté du bruit au bruit ?
J'ai décidé de le faire pour l'Art. C’est toujours une bonne excuse/motivation en ce qui me concerne.
Posted recently, when @karine had 100 left.
Avec toute cette pression et mes questions existentielles (Que dire ? A qui ?...) , il m'a fallu environ une heure pour écrire mes deux premières phrases. J'ai même pensé au message d'Arecibo envoyé dans l'espace à destination des éventuels extraterrestres.
J'ai toujours détesté les biographies des réseaux sociaux ; je n'allais certainement pas gaspiller un centième de mes crédits avec une introduction formelle. Je n'avais toujours aucune idée de ce que je faisais, mais je savais que je ne cherchais pas de nouveaux amis ni des clients.
J'ai fini par écrire quelque chose d'un peu étrange mais vrai. Je ne le partagerai pas ici car je suppose que tout ce qui se passe sur Minus reste sur Minus.
Tout ce que je peux dire, c'est que j'ai n'ai eu aucune réponse.
C’est parfait vu que je ne m'attendais à rien.