Depuis quelques semaines, j’observe les tendances Google sur le thème de l’addiction aux écrans. Il s’avère que les recherches sont en constante augmentation et qu’il y a de plus en plus d’articles sur le sujet. Dans cet article, je propose des pistes pour expliquer cet engouement exponentiel.

1-      C’est un sujet anxiogène

Or les sujets anxiogènes sont populaires. La peur a toujours été le moteur de l’instinct de survie, c’est grâce, ou à cause d’elle, que l’on met en place des stratégies de protection de l’espèce. Consciemment ou pas, nous faisons tout notre possible pour alerter nos congénères des dangers qui pourraient mener à notre perte.

En 2012, le philosophe Michel Serres expliquait que la société contemporaine était fascinée par la sécurité[1] :

« Nous vivons dans une civilisation historiquement exceptionnelle en matière de sécurité (…) il y avait des civilisations qui glorifiaient l’héroïsme, le risque, etc., tandis que la nôtre, au contraire, fait l’éloge de la sécurité (….) Le paradoxe est que nous vivons dans une société ultra sécurisée et, avec les raisonnements de la société du spectacle, nous organisons la peur pour multiplier les ventes. »

L’addiction aux écrans est effectivement le produit de ce début de XXIème siècle qui valorise le divertissement et la sécurité. Elle permet d’aborder des thèmes sensibles, donc potentiellement viraux sur les réseaux sociaux. Dans un monde où la valeur et la crédibilité se mesurent à l’aune du nombre de followers, ce n’est pas négligeable

2-      Il n’y a pas de certitudes scientifiques

Nous n’avons pas encore de recul ni aucune certitude scientifique sur les conséquences physiques, psychologiques et sociales à long terme de l’exposition aux écrans.

L’Iphone a été inventé en 2007, il a popularisé le smartphone qui s’est depuis démocratisé et immiscé dans la vie personnelle et professionnelle de millions de personnes mais le phénomène est très récent à l’échelle de l’humanité.

Il existe quelques études réalisées par des chercheurs, des sociologues ou des observatoires sur des petits échantillons de population et sur des durées relativement courtes, mais pas de recherches approfondies, avec des résultats avérés et fiables.

Certains chiffres que les médias utilisent proviennent aussi de sondages effectués par des sociétés commerciales intéressées par le sujet (assurances, fournisseur d’accès...)

L’absence de preuves scientifiques à l’avantage (ou l’inconvénient) de laisser la porte ouverte à toutes les suppositions :

La génération des enfants exposés au écrans dès la naissance sera la première avec un QI inférieur à la précédente, on prévoit plus d’autistes en 2030 à cause des écrans, les futures générations auront des pouces surdimensionnés, l’espérance de vie va chuter à cause du stress lié à l’hyper connexion…

Même si le sujet est très sérieux, il est parfois traité avec un petit côté science-fiction qui fascine car petit à petit se dessinent les contours de l’homme 3.0.

3-      Cela impacte les enfants

Les souffrances infantiles sont celles que nous supportons le moins, que l’on qualifie comme les plus injustes, voire les plus révoltantes. D’une part parce que les enfants n’ont pas les capacités physiques et/ou intellectuelles de se défendre, d’autre part parce que cela fait écho à nos propres souffrances remontant à notre enfance.

Le psychologue Albert Ciccone écrit dans l’Archaïque et l’infantile [2]

« La souffrance psychique la plus intolérable est toujours celle éprouvée par la partie infantile du soi, l’enfant en soi, voire le bébé en soi. La souffrance de l’adulte n’est jamais la plus désorganisatrice ; même si elle est violente, douloureuse, elle touche des parties matures qui peuvent utiliser des ressources adaptatives. C’est la souffrance infantile qui est la plus scandaleuse, la plus désorganisatrice, la plus insupportable. »

L’addiction aux écrans étant souvent présentée comme une sorte de malédiction irréversible menaçant particulièrement les enfants ou les ados, il est logique qu’elle suscite beaucoup d’émotions et donc d’intérêt.

4-      On peut se victimiser

Il est communément admis qu’il existe des coupables à ce « mal du siècle » qu’est potentiellement l’addiction aux écrans.

Tout d’abord les inventeurs des produits digitaux qui sont passés en quelques années du rang de génies bienfaiteurs à celui de pervertisseurs de l’humanité.

Ensuite les industriels qui ont élaboré des stratégies, souvent qualifiées de diaboliques, pour nous rendre dépendants.

Enfin les publicitaires et les médias qui font l’éloge de ces nouvelles technologies et par la même nous tentent, nous incitent à les adopter à la maison et au bureau.

De nombreux articles évoquent également une théorie du complot très porteuse dans l’opinion : la volonté d’asservir les masses. Ce postulat permet aux utilisateurs d’écrans de se dédouaner d’une partie de leurs responsabilités et de reporter leurs frustrations sur des boucs-émissaires. Ils se sentent démunis mais aussi un peu soulagés par cette impuissance.

L’addiction aux écrans est un sujet à la fois actuel et futuriste, qui est la source d’émotions fortes et concerne notre sphère intime et professionnelle. Elle est tellement en prise avec les considérations et les inquiétudes de la société occidentale contemporaine qu’elle va probablement continuer à alimenter les pages Google pendant les mois à venir.

A titre personnel, j’aimerais que les articles proposant des solutions concrètes deviennent plus nombreux que les prédictions alarmistes incertaines. 😊



[1] ITW de Michel Serres par Michel Polacco sur France info – 4 novembre 2012 –– Chronique Le sens de l’info

[2]L'archaïque et l'infantile - Albert Ciccone Revue Spirale 2008/1 (n°45)